M. Pierre Renard
36 Allée de la Chocolatine
Hameau de Baratte
38200 LA BRIOCHE

M. Michel ANDRÉASSIAN
Président de La Madeleine Nouvelle

À La Brioche,le 12 juin 2020

Objet : Mes excuses les plus sincères

Monsieur,

J’ai reçu votre pigeon voyageur ce matin. Je suis confus et navré de l’embarras dans lequel vous a placé mon texte sur les obsèques de la démocratie municipale. Jamais je n’aurais cru possible que des personnages sortis de mon imagination puissent être la source d’autant de difficultés.

Vous aviez été tellement aimable de bien vouloir accepter de publier mon écrit sur votre site. Qu’allez-vous penser de moi ? Lorsque nous nous sommes rencontrés au festival du Pain Perdu, vous m’aviez dit que votre collectif cherchait à créer une rubrique FICTION sur son site afin de diversifier son offre de lecture. J’avais trouvé cela d’autant plus amusant que la toponymie de nos deux communes sonnait comme une invitation à travailler ensemble.

Vous imaginez mon embarras en apprenant que trois élus de votre commune se sont sentis insultés par ma plume. Diable ! Voilà bien le problème avec la fiction. Les lecteurs s’identifient vite aux personnages… Je ne suis pas psychologue, mais il paraît également qu’un syndrome – appelé “syndrome de l’élu” – touche tout particulièrement les personnes qui exercent des responsabilités politiques. Elles seraient extrêmement susceptibles, n’auraient aucun sens de l’humour et prendraient pour elles des mots qui ne leur sont pas destinés. Le métier d’écrivain est déjà bien difficile; avouez que ce syndrome de l’élu n’arrange rien.

Il n’y a d’ailleurs pas que les élus qui sont susceptibles. L’autre jour, j’avais écrit un sonnet décrivant un vilain dragon couvert de pustules. Je l’envoie à une de mes amies qui le fait lire à une de ses connaissances. Cette dernière prit la mouche et crut qu’elle lui faisait lire son portrait ! Depuis, elles ne se parlent plus et mon amie m’en veut. C’est dommage car elle avait pour habitude de m’envoyer d’excellentes confitures.

Je suis sincèrement navré si ma petite histoire a blessé ces trois messieurs dont vous me parlez et que je n’ai pas l’honneur de connaître. Vous m’aviez pourtant dit que chez vous tout le monde était “très Charlie” et que la satire, la parodie et la caricature étaient sanctifiées comme le Bon Dieu depuis 2015. J’aurais cru que les chroniques de La Brioche auraient eu leur place chez vous. Il est vrai que je ne suis pas tendre avec l’Église et encore moins avec le personnel ecclésiastique. Aurais-je un compte à régler avec les curés ?

Hélas, il faut croire que les plus doués pour faire passer des vessie pour des lanternes ne sont pas les plus fins lorsqu’il s’agit de faire la différence entre une brioche et une madeleine. Tout cela est bien triste…

Ce qui me console dans toute cette histoire c’est qu’elle me rapproche un peu plus du destin des grands écrivains. Loin de moi l’idée de croire que je puisse avoir le talent de Monsieur Gustave Flaubert, mais reconnaissez que le procès de cette pauvre Madame Bovary n’a fait qu’accélérer son succès.

Quoiqu’il en soit, Monsieur, je vais devoir renoncer à vous importuner avec mes textes et me tourner vers d’autres contrées pour publier mes créations. J’ai quelques pistes du côté de Cannelés-sur-Saône et Pin-Oretzun (je crois que c’est en Bretagne). Qui sait, peut-être y trouverai-je un peu plus d’ouverture ?

Au plaisir de recroiser à nouveau votre chemin dans une vie plus clémente avec les artistes, je vous prie de recevoir, cher Monsieur, l’expression de mes plus honnêtes salutations amicales.

Pierre Renard

illustration : Voltaire soutenant Émile Combes, dans La Séparation de l’Église et de l’État (détail), lithographie anonyme, 1904-1905, Musée Jean Jaurès.