Ils sont venus hier, ou avant hier, ou le jour d’avant peut-être, je ne sais plus.

Ils sont venus et ils m’ont tondue. À grands coups de ciseaux. Tondue, rasée, ratiboisée.

Trop verte , ma tignasse de rebelle. Trop libre, mes longues mèches avec leurs fleurs que le vent balaie. Trop longue, ma chevelure.

Ils sont venus avec leurs machines infernales et ils m’ont tondue.

C’est qu’il faut être soignée Mademoiselle la belle verte. Ici rien ne doit dépasser, tout doit être propre, nickel, c’est la règle. Il faut vous y plier.

Allez, encore un dernier coup de ciseaux.

Cela faisait plusieurs semaines que j’étais bien tranquille, au calme, toute seule. Enfin, avec des ami .e.s choisi.e.s. Il y avait les caresses du soleil, les chatouillis des abeilles, les bécots des oiseaux. Ce qui nous fait du bien quoi, à nous , les vivants. Tout cela était gentil, gai, doux. J’avais mes admirateurs de derrière les grilles du parc, je sentais leurs regards envieux. Ah les coquins, c’est qu’ils auraient bien voulu s’allonger près de moi, dans les hautes herbes tendres, que je les prenne aussi dans mes bras pour qu’on roule ensemble, dans les parfums de la terre du printemps.

Mais non cela ne sera pas.

A peine sortis du confinement, à peine une semaine et hop, ils étaient là, les accro du ciseau, les nostalgiques de la coupe à la brosse. Place nette ! Il fallait faire place nette pour que rien ne dépasse.

Ah, ces fanatiques de la boule à zéro, ils n’ont pas perdu leur temps et ils n’avaient pas perdu la la main. Toutes mes copines ont dû y passer. Ou presque.

La copine de la ville voisine a plus de chance. Elle est plus protégée, respectée. Sans doute que là-bas ,de l’autre côté du périph, on reconnaît sa valeur, essentielle à la vie, aussi, on la laisse un peu pousser comme ça, comme elle veut au grès des saisons. Il n’y qu’à regarder les photos, le contraste est saisissant.

Trop de liberté, ça énerve, surtout en temps de confinement.

C’est vrai que j’en ai profité. Ah, jouïr sans entrave, quelle belle expérience…

Quel beau moment que celui de ce temps suspendu, posé, cette pause imposée.

Belle et re-belle, ça a fait des jaloux. Mais enfin, c’est toujours mieux que moche et re-moche.

De quoi ai-je l’air, maintenant ?

D’un vieux gazon, jauni, défraîchi qui va crever de chaleur dans ce printemps au soleil d’été.

Et mes butineuses ? Que vont-elles devenir ? Trouveront-elles le pollen dont elles ont besoin ou les gavera-t-on aux temps froids comme les dindes et les oies ?

Oui, aujourd’hui, il y a des villes où on n’est pas à la fête.

Oui, aujourd’hui il y a encore des gars qui ne comprennent rien. Toujours faut qu’ils nous dressent, nous domptent, nous violentent. Est-ce qu’ils s’arrêtent pour nous regarder vivre, est-ce qu’ils font silence pour nous écouter pousser, nous les herbes folles, les herbes tendres, les herbes à chats ? Notre liberté, ça leur fait peur.

Faudra-t-il que je me venge, demain ?