Samedi 16 mai 2020– 1er week end de déconfinement ;
C’est samedi , il est 11h, manif à vélo contre Bayer-Monsanto – 1ere vélo-rution déconfinée à la Madeleine. Nous sommes 10, en noir et jaune , en abeilles, distanciation ok, des maques ici , des slogans là , une petite sono , gestes barricades respectés.
C’est samedi, il est 17h- Galvanisée par notre expérience du matin, je m’aventure hors des frontières de ma Ville pour voir si chez Lille, ma voisine, je rencontre d’autres butineuses et si je puis essayer « en live » ses nouveaux aménagements cyclables –
Au bout de la rue Paul Doumer ( à LM) je prends à droite la piste cyclable du grand boulevard. Celle qui passe sous les ponts pour rejoindre la rue des Urbanistes devant le lycée Pasteur ( toujours fermé, ben oui on est samedi – banane), celle de mon trajet quotidien ( celui d’avant le confinement) vers la gare lille Flandre – mais, je sens bien que je m’égare … bref, je disais , je prends la piste cyclable du gd blvrd et là 2, 5, 10 , pleins , ils sont pleins, à vélo ou à pied . Les « sans masques » sourient, les autres je ne sais pas , mais ils ont l’air heureux de cette liberté retrouvée. Heureux et nombreux – « Regarde comme il fait beau dehors , c’est l’heure d’aller jouer « Mais quelque chose retient mon attention. Tous , quasi tous ont des sacs de shopping. Pas les sacs carrouf ou lidl pour faire les achats de 1ere nécessité, non , des sacs de shopping au nom d’enseignes de grands magasins que je reconnais au passage , kiko , H&m , NaPapIJRI, des petits, des grands. Je continue mon chemin. Déjà je maugrée. J’ai comme un mauvais pressentiment. Je descends la rue des Cannoniers, traverse Carnot et arrive à hauteur de la bouche de métro. Un vieil homme en sort, fatigué. Je le vois , il n’a pas de masque. Il s’appuie un instant sur l’un de ces plots en métal qui font barrière entre les piétons et la route – Pas de gants, pas grave –J ‘espère que comme moi , il a regardé le petit cadeau-vidéo de Corinne Masiéro sur « comment bien se protéger « . Puis je m’arrête au feu du carrefour Lille-Flandre/ Euralille. Il y a un dégagement à droite pour les vélos , je le sais bien, mais je reste là. Abasourdie , sonnée . Devant moi, des gens, encore, une foule . Des semaines que j’en ai pas vu. Des jeunes, des vieux, par petits groupes, par grappes, des garçons, des filles. Certains sont masqués, d’autres non. Ils sont nombreux à aller et venir, place des Buisses , ils vont , ils viennent, je les suis du regard jusqu’à l’entrée d’ Euralille. L’entrée d’Euralille : une entrée noire de monde. Je ne vois pas suffisamment bien , pas suffisamment loin pour savoir s’il y a des vigiles à l’entrée, comme pendant l’état d’urgence post-alerte terroriste. Mais je le vois bien, pas de distanciation sociale. Je revois les sacs de shopping des boutiques dans lesquelles, je ne vais pas, plus, depuis longtemps. Je repense à notre réunion pédagogique du 14 mai, en visio conférence ,sur l’organisation du retour au lycée. Les risques, les tables qu’il faudra nettoyer après chaque passage d’élèves, les circuits qu’il leur faudra emprunter , les récrés décalées pour qu’ils ne puissent ni se voir ni se toucher … Toujours arrêtée au feu , je reviens au présent, je vois les magasins dans les travées d’Euralille et des mains , des mains , des centaines de mains, des mains baladeuses sur les vêtements, les articles, les accessoires qu’on prend, qu’on regarde, qu’on repose. Est-ce que les cabines d’essayage sont ouvertes ? Et Primark , c’est ouvert aussi ? Déjà en temps « normal », c’est le bordel ! Est-ce que toutes ces merdes inutiles et autres galgal Made In Ailleurs sont arrivées ?
Alors c’était donc ça, leur plan, leur grand déconfinement. Vite déconfiner , vite ré-ouvrir les sacro-saints temples de l’hyper conso bon marché, décomplexée, aliénante. C’est vrai quand même, la décroissance, la débrouille, le « je l’fais moi-même », ça va bien 5 minutes , faudrait pas qu’on y prenne goût.
Je pense au personnel des boutiques, qui doivent accueillir, mettre en rayon, badger les articles, conseiller, encaisser. Encaisser les clients. Encaisser ces nouvelles conditions de travail. Ont-ils eu le choix , connaissent-ils le Registre Santé et Sécurité au Travail ? Connaissent-ils la directive de 1989 sur l’obligation des employeurs , « l ‘obligation de moyens et de résultats en santé et sécurité …juridiquement supérieure à tout pouvoir hiérarchique, de direction. L’obligation « d’adapter le travail à l’homme, d’évaluer les risques , de combattre les risques à la source » . L’obligation « de fournir des lieux de travail sains et sécurisés , de protéger la santé physique et mentale de tous les travailleurs , de les former à tout poste occupé ainsi qu’à ses risques professionnels « . Je me dis qu’il faudra revenir avec des tracts. Merde , est-ce qu’on peut en distribuer ?
Dégoûtée, je poursuis ma route. Les trottoirs à ma droite qui ouvrent sur la rue Faidherbe me paraissent bien grands tout à coup, dégarnis, les badauds y sont plus clairsemés . Forcément les cafés sont fermés.
Rue du Molinel, je découvre enfin la large bande cyclable flambant-neuve marquée de jaune qui me conduit en sécurité jusqu’au sas vélo au croisement de la rue de Paris (enfin la rue Pierre mauroy). Même vision effroyable, des passants , des badauds , des sacs de shopping. Il y a une queue monstre devant Les Petites Halles. Bon, c’est un boucher -traiteur. Pourquoi pas. Je continue ma route , un connard en bagnole a quand même trouvé le moyen de stationner sur l’espace vacant de la piste et discute le bout de gras avec un autre. Je le hèle , « ben alors et la piste cyclable , c’est pas comme si on la voyaitpas maintenant !» Bon, il s’excuse. Des voitures , des voitures , des voitures. Mais d’où sortent-ils tous , ils vont où , ils font quoi et puis je pensais que le Centre-Ville était fermé aux voitures.
Excédée. Je prends une petite rue à gauche pour ne pas devoir traverser Liberté et République.
Je pense à Ruffin sur France Inter , un des premiers dimanches de confinement. Saurons nous faire en sorte que le monde d’après ne soit pas pire que celui d’avant ? Ça me semble pas bien parti, non !?
Je pense à Ariane Ascaride, à sa lettre de l’intérieur, lue par Trapenard, dans les 1ers jours du confinement.
Je pense à mes élèves qui ont beaucoup séché la classe virtuelle cette semaine. Sont-ils dans les magasins aujourd’hui ?
Je pense à mes enfants qui ne souffrent pas de ne pas consommer .
Je pense à l’Idiot , rue de l’hôpital Militaire, notre café des jours de soif et de manif. Va-t-il se relever ?
Je pense au Majestic,vendu l’été dernier à UGC ? Quand va-t-il ré-ouvrir ?
Une chanson de Thiéfaine me revient
« Les cinémas sont fermés , c’est la grève des clowns …tu as la splendeur d’un enterrement de première classe … tu as la splendeur d’un enterrement de 1ere classe … «
On est dimanche. Et merde, comme au 1er jour , je suis à court de croquettes pour mes chats et de graines pour les oiseaux . Je vais devoir aller à Carrouf , les boules.
Alors, Gros Cons in Fine, vous êtes prêts pour la phase 2 ?